"La crise de la culture tient au fait que l'on puisse croire accéder à la pensée d'un auteur, ou à la profondeur psychologique d'un personnage de roman ou d'une pièce de théâtre classique, en allant seulement voir une comédie musicale ou un bon film, qu'un ami nous a conseillés, concernant la chose en question, ou en lisant le point de vue d'un journaliste, en survolant un post sur Facebook ou même un message sur Twitter, etc. Et prétendre, à partir de cela, avoir une opinion si ferme et si bien fondée qu'elle mériterait d'être exprimée et même publiée ! Voilà ce qu'est exactement la "crise de la culture" que dénoncent, entre autres, Arendt et Finkielkraut, et qu'il nous est d'autant plus difficile d'apercevoir que nous sommes, le plus souvent, dedans. Mais c'est aussi ce que dénonçait, déjà et bien avant eux, l'illustre Platon, lorsque, dans L'Allégorie de la caverne, celui qui est revenu de l'illusion dans laquelle les prisonniers sont toujours est l'objet de leurs ricanements, de leurs moqueries voire de leur violence et, pour Socrate, ce sera même la mort !


Lire les auteurs demande du temps et un certain effort. Mais cela évite, bien souvent, d'exprimer une opinion mal fondée et quelquefois dangereuse. Parce qu'après les avoir lus, on se rend compte que l'on aurait mieux fait de se taire. Lire les auteurs en général, et les philosophes en particulier, c'est se cultiver, certes, en fondant notre opinion en raison, et, accessoirement, éviter le ridicule. Mais c'est surtout, essentiellement et vraiment, démocratiser la culture, sans la réduire, via les mass média et nos pratiques internautiques généralisées, à des images séduisantes ou spectaculaires qui en cachent finalement l'essentiel aux yeux de ceux à qui elle s'adresse pourtant. Lire et faire lire est bien un acte politique, parce qu'il en va de la vie de la démocratie même.


Hâtons-nous de lire les auteurs, de les lire vraiment et de les faire lire le plus possible, parce que nos opinions seront ainsi sublimées et justifiées en raison, fermes et assurées, et nous pourrons utilement en débattre, échanger vraiment et faire vivre la démocratie ! C’est ce que veut dire, ici, Hannah Arendt : « La culture et la politique s'entr'appartiennent alors, parce que ce n'est pas le savoir ou la vérité qui est en jeu, mais plutôt le jugement et la décision, l'échange judicieux d'opinions portant sur la sphère de la vie publique et le monde commun, et la décision sur la sorte d'action à y entreprendre, ainsi que la façon de voir le monde à l'avenir, et les choses qui doivent y apparaître.», Hannah Arendt, La Crise de la culture, Gallimard, coll. « Folio », Paris, 1972, p. 285.


Il faut lire les auteurs, et Alain Finkielkraut en particulier, et les faire lire parce qu'il en va de la culture, certes, mais surtout, et principalement, de la vie de la démocratie elle-même ! Longue vie aux immortels Platon, Arendt et Alain Finkielkraut. » Stéphane Vendé directeur éditorial de Editions M-Editer de Vallet