Dans un monde dit de l’image, il est utile, et même urgent, de ne pas confondre et donc de bien distinguer les différents types d’images, afin de les maîtriser plutôt que d’en dépendre. Nous pouvons, à cette fin et de prime abord, distinguer trois sortes d’images : celles qui réfléchissent et concentrent (le tableau, entre autres) ; les matricielles, celles qui résument, les super-résumés (comme en épistémologue, par exemple) ; enfin, celles qui ne font que redoubler, en tentant de copier le réel (celles du faussaire).

Toutefois ces sortes d’images se mélangent bien souvent les unes les autres, les unes étant prises pour les autres, les unes pouvant même -par le travail d’enquête, comme en histoire par exemple- devenir les autres. Le jeu des doubles et des masques, auquel les médias nous conditionnent, finit par troubler notre discernement et nous conduit bien souvent à la crédulité, par absence de recul et d’analyse, et par là jusqu’à la débilité du vouloir, qui n’est pas loin du renoncement à soi, renoncement qui fait le lit de la manipulation des esprits.

Si nous voulons, au contraire, sauvegarder notre sens critique vis-à-vis du flot d’images, toujours grossissant, qui nous parvient, il nous faut les départager, pour pouvoir agir avec et même sur elles. Si nous parvenons à élaborer des grilles de lecture de ces images, nous apprendrons plus efficacement encore à trouver ce qu’elles décèlent mais aussi recèlent, et donc ce qu’elles signifient réellement, nous mettant ainsi en mesure d’en dévoiler le faux. Nous préciserons notre examen en même temps que nous surprendrons, et peut-être même suspendrons, la supercherie. Mais nous ne serons pas encore pour autant complètement à l’abri de la manipulation. Les Musées n’exposent-ils pas, malgré eux, des faux, des inauthentiques, des duperies ? La science n’en fait-elle pas quelques fois, elle aussi, l’amère expérience, et au moment même où elle ne s’y attendait plus ?

Ainsi parce que les images se brouillent les unes les autres, mais aussi parce que sans elles nous n’accédons pas vraiment à notre monde, il nous faut apprendre que s’il n’y a pas de bon discernement sans connaissances préalables, tous les bons jugements ne proviennent pas nécessairement d’elles. Le discernement se prouve en s’éprouvant, en s’effectuant, et donc en discernant. On commence par un système d'évaluation grossier ou approximatif, s’appuyant sur des connaissances plus ou moins sûres. Ce système aide à énoncer les premiers critères, les premières règles, que, par la suite, on affinera en les confrontant les uns aux autres.

Mais cette grammaire de l’image est encore à écrire et peut-être même à inventer (il serait même temps que nos « pédagogues » s’attaquent véritablement au problème plutôt que de nous faire des leçons de « sciences de l’éducation » qui s’avèrent toutes, un jour ou l’autre, vaines au mieux, dommageables au pire). Mais elle ne constitue pas une fin en elle-même. Les philosophes contemporains de l'art, des sciences et des techniques, du langage, des médias d’aujourd’hui (il faut s’instruire des travaux de cette toute jeune médiologie), doivent découvrir les fondements et le fonctionnement, l'esprit et la mécanique dont procède cette grammaire et nous transmettre non seulement le fruit de leur travail mais aussi la démarche qui les y a conduits..

Sans cette grammaire et cette philosophie, les laudateurs et autres zélateurs contemporains de l’image (tous plus médiatiques les uns que les autres) auront beau jeu, parce qu’ils ne feront que cautionner, en y participant à leur manière, la confusion des images désormais administrée comme étant inextricable, rendant du même coup impossible tout véritable jugement à leur égard. Où est le vrai ? Qui peut, sans courir le risque de l’à-peu-près ou du n’importe quoi, le dire dès que l'image lui parvient et même le prend en s’imposant à son esprit ?

Lire, écouter et surtout entendre, et même voir à l’oeuvre les philosophes contemporains qui se risquent à cette difficile tâche où tout reste à découvrir et inventer c’est, en retour, constituer sa propre grammaire, qu’il s’agit donc de construire ensemble, progressivement. Nos livres veulent témoigner de ce travail mais aussi et surtout le rendre accessible et ainsi possible à chacun.

Bonne lecture à toutes et à tous.

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