L’humour occupe chez Deleuze une place comparable à celle que Socrate avait su donner à l’ironie : c’est une attitude qui anime la philosophie entière (humour transcendantal). Plus généralement il y a trois formes de « l’esprit » (au sens du « mot d’esprit ») : l’humour, l’ironie et la satire. La satire peut s’exercer en l’absence de sa victime, c’est l’esprit en troisième personne. L’ironie requiert la présence d’un interlocuteur, c’est l’esprit en seconde personne. Mais l’humour se distingue par sa capacité à prendre l’humoriste pour cible, c’est l’esprit en première personne. Dans les trois cas s’applique la question-épreuve posée par Deleuze : « Qu’est-ce qu’une pensée qui ne fait de mal à personne ? ». C’est donc l’essence même de la pensée qui est en jeu, sur la voie ouverte par le verdict de Bachelard : « L’opinion ne pense pas ». L’épreuve y est l’impossibilité de penser telle que l’a expérimentée Artaud. Et la question se situe dans la problématique plus vaste d’un exercice des facultés où le modèle est le « dérèglement des sens » de Rimbaud. Plus précisément il s’agira de parvenir à l’exercice transcendant des facultés, où chaque faculté trouve son objet le plus propre et son motif le plus intime dans ce qui la dépasse : l’imagination dans l’inimaginable, la pensée dans l’impensable, la mémoire dans l’Immémorial (etc.).

Feuilleter quelques pages du livre :